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Bel-Ami / Милый друг - стр. 78

Il se dit: «Je tiens le moyen.» Et comme il se sentait maintenant la peau brûlante il rouvrit la fenêtre.

Le jour naissait, calme et glacial. Là-haut, les étoiles semblaient mourir au fond du firmament éclairci, et dans la tranchée profonde du chemin de fer les signaux verts, rouges et blancs pâlissaient.

Les premières locomotives sortaient du garage et s'en venaient en sifflant chercher les premiers trains. D'autres, dans le lointain, jetaient des appels aigus et répétés, leurs cris de réveil, comme font les coqs dans les champs.

Duroy pensait: «Je ne verrai peut-être plus tout ça.» Mais comme il sentit qu'il allait de nouveau s'attendrir sur lui-même, il réagit violemment: «Allons, il ne faut songer à rien jusqu'au moment de la rencontre, c'est le seul moyen d'être crâne.»

Et il se mit à sa toilette. Il eut encore, en se rasant, une seconde de défaillance en songeant que c'était peut-être la dernière fois qu'il regardait son visage.

Mais il but une nouvelle gorgée d'eau-de-vie, et acheva de s'habiller.

L'heure qui suivit fut difficile à passer. Il marchait de long en large en s'efforçant en effet d'immobiliser son âme. Lorsqu'il entendit frapper à sa porte, il faillit s'abattre sur le dos, tant la commotion fut violente. C'étaient ses témoins. Déjà!

Ils étaient enveloppés de fourrures. Rival déclara, après avoir serré la main de son client:

– Il fait un froid de Sibérie.

Puis il demanda:

– Ça va bien?

– Oui, très bien.

– On est calme?

– Très calme.

– Allons, ça ira. Avez-vous bu et mangé quelque chose?

– Oui, je n'ai besoin de rien.

Boisrenard, pour la circonstance, portait une décoration étrangère, verte et jaune, que Duroy ne lui avait jamais vue.

Ils descendirent. Un monsieur les attendait dans le landau. Rival nomma:

– Le docteur Le Brument.

Duroy lui serra la main en balbutiant:

– Je vous remercie.

Puis il voulut prendre place sur la banquette du devant et il s'assit sur quelque chose de dur qui le fit relever comme si un ressort l'eût redressé. C'était la boîte aux pistolets.

Rival répétait:

– Non! Au fond le combattant et le médecin, au fond!

Duroy finit par comprendre et il s'affaissa à côté du docteur.

Les deux témoins montèrent à leur tour et le cocher partit. Il savait où on devait aller.

Mais la boîte aux pistolets gênait tout le monde, surtout Duroy, qui eût préféré ne pas la voir. On essaya de la placer derrière les dos, elle cassait les reins; puis on la mit debout entre Rival et Boisrenard, elle tombait tout le temps. On finit par la glisser sous les pieds.

La conversation languissait, bien que le médecin racontât des anecdotes. Rival seul lui répondait. Duroy eût voulu prouver de la présence d'esprit, mais il avait peur de perdre le fil de ses idées, de montrer le trouble de son âme; et il était hanté par la crainte torturante de se mettre à trembler.

La voiture fut bientôt en pleine campagne. Il était neuf heures environ. C'était une de ces rudes matinées d'hiver où toute la nature est luisante, cassante et dure comme du cristal. Les arbres, vêtus de givre, semblent avoir sué de la glace; la terre sonne sous les pas; l'air sec porte au loin les moindres bruits: le ciel bleu paraît brillant à la façon des miroirs, et le soleil passe dans l'espace, éclatant et froid lui-même, jetant sur la création gelée des rayons qui n'échauffent rien.

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