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Bel-Ami / Милый друг - стр. 77

Tout d'un coup, cette pensée entra en lui à la façon d'une balle: «Demain, à cette heure-ci, je serai peut-être mort.» Et son cœur se remit à battre furieusement.

Il se retourna vers sa couche et il se vit distinctement étendu sur le dos dans ces mêmes draps qu'il venait de quitter. Il avait ce visage creux qu'ont les morts et cette blancheur des mains qui ne remueront plus.

Alors il eut peur de son lit, et afin de ne plus le voir il ouvrit la fenêtre pour regarder dehors.

Un froid glacial lui mordit la chair de la tête aux pieds, et il se recula, haletant.

La pensée lui vint de faire du feu. Il l'attisa lentement, sans se retourner. Ses mains tremblaient un peu d'un frémissement nerveux quand elles touchaient les objets. Sa tête s'égarait, ses pensées tournoyantes, hachées, devenaient fuyantes, douloureuses; une ivresse envahissait son esprit comme s'il eût bu.

Et sans cesse il se demandait: «Que vais-je faire? que vais-je devenir?»

Il se remit à marcher, répétant, d'une façon continue, machinale: «Il faut que je sois énergique, très énergique.»

Puis il se dit: «Je vais écrire à mes parents, en cas d'accident.»

Il s'assit de nouveau, prit un cahier de papier à lettres, traça: «Mon cher papa, ma chère maman…»

Puis il jugea ces termes trop familiers dans une circonstance aussi tragique. Il déchira la première feuille et recommença: «Mon cher père, ma chère mère; je vais me battre au point du jour, et comme il peut arriver que…»

Il n'osa pas écrire le reste et se releva d'une secousse.

Cette pensée l'écrasait maintenant. «Il allait se battre en duel. Il ne pouvait plus éviter cela. Que se passait-il donc en lui? Il voulait se battre; il avait cette intention et cette résolution fermement arrêtées; et il lui semblait, malgré tout l'effort de sa volonté, qu'il ne pourrait même pas conserver la force nécessaire pour aller jusqu'au lieu de la rencontre.»

De temps en temps ses dents s'entrechoquaient dans sa bouche avec un petit bruit sec; et il se demandait: «Mon adversaire s'est-il déjà battu? a-t-il fréquenté les tirs? est-il connu? est-il classé?» Il n'avait jamais entendu prononcer ce nom. Et cependant si cet homme n'était pas un tireur au pistolet remarquable, il n'aurait point accepté ainsi, sans hésitation, sans discussion, cette arme dangereuse.

Alors Duroy se figurait leur rencontre, son attitude à lui et la tenue de son ennemi. Il se fatiguait la pensée à imaginer les moindres détails du combat; et tout à coup il voyait en face de lui ce petit trou noir et profond du canon dont allait sortir une balle.

Et il fut pris brusquement d'une crise de désespoir épouvantable. Tout son corps vibrait, parcouru de tressaillements saccadés. Il serrait les dents pour ne pas crier, avec un besoin fou de se rouler par terre, de déchirer quelque chose, de mordre. Mais il aperçut un verre sur sa cheminée et il se rappela qu'il possédait dans son armoire un litre d'eau-de-vie presque plein; car il avait conservé l'habitude militaire de tuer le ver chaque matin.

Il saisit la bouteille et but, à même le goulot, à longues gorgées, avec avidité. Et il la reposa seulement lorsque le souffle lui manqua. Elle était vidée d'un tiers.

Une chaleur pareille à une flamme lui brûla bientôt l'estomac, se répandit dans ses membres, raffermit son âme en l'étourdissant.

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