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Bel-Ami / Милый друг - стр. 30

– Buvez-vous quelque chose?

– Oui, volontiers. Il fait très chaud.

Ils entrèrent dans un café et se firent servir des boissons fraîches. Et Saint-Potin se mit à parler. Il parla de tout le monde et du journal avec une profusion de détails surprenants.

– Le patron? Un vrai juif! Et vous savez, les juifs, on ne les changera jamais. Quelle race!

Et il cita des traits étonnants d'avarice, de cette avarice particulière aux fils d'Israël, des économies de dix centimes, des marchandages de cuisinière, des rabais honteux demandés et obtenus, toute une manière d'être d'usurier, de prêteur à gages.

– Et avec ça, pourtant, un bon zig qui ne croit à rien et roule tout le monde. Son journal, qui est officieux, catholique, libéral, républicain, orléaniste, tarte à la crème et boutique à treize, n'a été fondé que pour soutenir ses opérations de bourse et ses entreprises de toute sorte. Pour ça il est très fort, et il gagne des millions au moyen de sociétés qui n'ont pas quatre sous de capital…

Il allait toujours, appelant Duroy «mon cher ami».

– Et il a des mots à la Balzac, ce grigou. Figurez-vous que, l'autre jour, je me trouvais dans son cabinet avec cette antique bedole de Norbert, et ce Don Quichotte de Rival, quand Montelin, notre administrateur, arrive, avec sa serviette en maroquin sous le bras, cette serviette que tout Paris connaît. Walter leva le nez et demanda: «Quoi de neuf?»

Montelin répondit avec naïveté: «Je viens de payer les seize mille francs que nous devions au marchand de papier.»

Le patron fit un bond, un bond étonnant.

– Vous dites?

– Que je viens de payer M. Privas.

– Mais vous êtes fou!

– Pourquoi?

– Pourquoi… pourquoi… pourquoi…

Il ôta ses lunettes, les essuya. Puis il sourit, d'un drôle de sourire qui court autour de ses grosses joues chaque fois qu'il va dire quelque chose de malin ou de fort, et avec un ton gouailleur et convaincu, il prononça: «Pourquoi? Parce que nous pouvions obtenir là-dessus une réduction de quatre à cinq mille francs.»

Montelin, étonné, reprit: «Mais, monsieur le directeur, tous les comptes étaient réguliers, vérifiés par moi et approuvés par vous…»

Alors le patron, redevenu sérieux, déclara: «On n'est pas naïf comme vous. Sachez, monsieur Montelin, qu'il faut toujours accumuler ses dettes pour transiger.»

Et Saint-Potin ajouta, avec un hochement de tête de connaisseur:

– Hein? Est-il à la Balzac, celui-là?

Duroy n'avait pas lu Balzac, mais il répondit avec conviction:

– Bigre, oui.

Puis le reporter parla de Mme Walter, une grande dinde, de Norbert de Varenne, un vieux raté, de Rival, une ressucée de Fervacques. Puis il en vint à Forestier:

– Quant à celui-là, il a de la chance d'avoir épousé sa femme, voilà tout.

Duroy demanda:

– Qu'est-ce au juste que sa femme?

Saint-Potin se frotta les mains:

– Oh! une rouée, une fine mouche. C'est la maîtresse d'un vieux viveur nommé Vaudrec, le comte de Vaudrec, qui l'a dotée et mariée…

Duroy sentit brusquement une sensation de froid, une sorte de crispation nerveuse, un besoin d'injurier et de gifler ce bavard. Mais il l'interrompit simplement pour lui demander:

– C'est votre nom, Saint-Potin?

L'autre répondit avec simplicité:

– Non, je m'appelle Thomas. C'est au journal qu'on m'a surnommé Saint-Potin.

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