Bel-Ami / Милый друг - стр. 54
Il n'avait encore rien répondu. Alors elle s'était obstinée à être reconnue, saluée, et elle revenait sans cesse derrière la loge, attendant un moment favorable.
Dès qu'elle s'aperçut que Mme de Marelle la regardait, elle toucha du bout du doigt l'épaule de Duroy:
– Bonjour. Tu vas bien?
Mais il ne se retourna pas.
Elle reprit:
– Eh bien? es-tu devenu sourd depuis jeudi?
Il ne répondit point, affectant un air de mépris qui l'empêchait de se compromettre, même par un mot, avec cette drôlesse.
Elle se mit à rire, d'un rire de rage, et dit:
– Te voilà donc muet? Madame t'a peut-être mordu la langue?
Il fit un geste furieux, et d'une voix exaspérée:
– Qui est-ce qui vous permet de parler? Filez ou je vous fais arrêter.
Alors, le regard enflammé, la gorge gonflée, elle gueula:
– Ah! c'est comme ça! Va donc, mufle! Quand on couche avec une femme on la salue au moins. C'est pas une raison parce que t'es avec une autre pour ne pas me reconnaître aujourd'hui. Si tu m'avais seulement fait un signe quand j'ai passé contre toi, tout à l'heure, je t'aurais laissé tranquille. Mais t'as voulu faire le fier, attends, va! Je vais te servir, moi! Ah! tu ne me dis seulement pas bonjour quand je te rencontre…
Elle aurait crié longtemps, mais Mme de Marelle avait ouvert la porte de la loge, et elle se sauvait, à travers la foule, cherchant éperdument la sortie.
Duroy s'était élancé derrière elle et s'efforçait de la rejoindre.
Alors Rachel, les voyant fuir, hurla, triomphante:
– Arrêtez-la! Arrêtez-la! Elle m'a volé mon amant.
Des rires coururent dans le public. Deux messieurs, pour plaisanter, saisirent par les épaules la fugitive et voulurent l'emmener en cherchant à l'embrasser. Mais Duroy l'ayant rattrapée la dégagea violemment et l'entraîna dans la rue.
Elle s'élança dans un fiacre vide arrêté devant l'établissement. Il y sauta derrière elle, et comme le cocher demandait: «Où faut-il aller, bourgeois?» il répondit. «Où vous voudrez.»
La voiture se mit en route lentement, secouée par les pavés. Clotilde, en proie à une sorte de crise nerveuse, les mains sur sa face, étouffait, suffoquait; et Duroy ne savait que faire ni que dire.
À la fin, comme il l'entendait pleurer, il bégaya.:
– Écoute, Clo, ma petite Clo, laisse-moi t'expliquer! Ce n'est pas ma faute… J'ai connu cette femme-là autrefois… dans les premiers temps…
Elle dégagea brusquement son visage, et, saisie par une rage de femme amoureuse et trahie, une rage furieuse qui lui rendit la parole, elle balbutia, par phrases rapides, hachées, en haletant:
– Ah!.. misérable… misérable… quel gueux tu fais!.. Est-ce possible?.. quelle honte!.. Oh! mon Dieu!.. quelle honte!..
Puis, s'emportant de plus en plus, à mesure que les idées s'éclaircissaient en elle et que les arguments lui venaient:
– C'est avec mon argent que tu la payais, n'est-ce pas? Et je lui donnais de l'argent… pour cette fille… Oh! le misérable!..
Elle sembla chercher, pendant quelques secondes, un autre mot plus fort qui ne venait point, puis soudain, elle expectora, avec le mouvement qu'on fait pour cracher:
– Oh!.. cochon… cochon… cochon… Tu la payais avec mon argent… cochon… cochon!..
Elle ne trouvait plus autre chose et répétait:
– Cochon… cochon…
Tout à coup, elle se pencha dehors, et, saisissant le cocher par sa manche: