Bel-Ami / Милый друг - стр. 53
Comme il regretta de n'avoir rien dit! S'il avait parlé avec énergie, cela ne serait point arrivé.
Pendant quatre jours il fit des démarches et des efforts aussi nombreux qu'inutiles pour se procurer cinq louis, et il mangea le second de Clotilde.
Elle trouva moyen, bien qu'il lui eût dit, d'un air furieux: «Tu sais, ne recommence pas la plaisanterie des autres soirs, parce que je me fâcherais», de glisser encore vingt francs dans la poche de son pantalon, la première fois qu'ils se rencontrèrent.
Quand il les découvrit, il jura «Nom de Dieu!» et il les transporta dans son gilet pour les avoir sous la main, car il se trouvait sans un centime.
Il apaisait sa conscience par ce raisonnement: «Je lui rendrai le tout en bloc. Ce n'est en somme que de l'argent prêté.»
Enfin le caissier du journal, sur ses prières désespérées, consentit à lui donner cent sous par jour. C'était tout juste assez pour manger, mais pas assez pour restituer soixante francs.
Or, comme Clotilde fut reprise de sa rage pour les excursions nocturnes dans tous les lieux suspects de Paris, il finit par ne plus s'irriter outre mesure de trouver un jaunet dans une de ses poches, un jour même dans sa bottine, et un autre jour dans la boîte de sa montre, après leurs promenades aventureuses.
Puisqu'elle avait des envies qu'il ne pouvait satisfaire dans le moment, n'était-il pas naturel qu'elle les payât plutôt que de s'en priver?
Il tenait compte d'ailleurs de tout ce qu'il recevait ainsi, pour le lui restituer un jour.
Un soir elle lui dit:
– Croiras-tu que je n'ai jamais été aux Folies-Bergère? Veux-tu m'y mener?
Il hésita, dans la crainte de rencontrer Rachel. Puis il pensa: «Bah! je ne suis pas marié avec elle après tout. Si l'autre me voit, elle comprendra la situation et ne me parlera pas. D'ailleurs nous prendrons une loge.»
Une raison aussi le décida. Il était bien aise de cette occasion d'offrir à Mme de Marelle une loge au théâtre sans rien payer. C'était là une sorte de compensation.
Il laissa d'abord Clotilde dans la voiture pour aller chercher le coupon afin qu'elle ne vît pas qu'on le lui offrait, puis il la vint prendre et ils entrèrent, salués par les contrôleurs.
Une foule énorme encombrait le promenoir. Ils eurent grand'peine à passer à travers la cohue des hommes et des rôdeuses. Ils atteignirent enfin leur case et s'installèrent, enfermés entre l'orchestre immobile et le remous de la galerie.
Mais Mme de Marelle ne regardait guère la scène, uniquement préoccupée des filles qui circulaient derrière son dos; et elle se retournait sans cesse pour les voir, avec une envie de les toucher, de palper leur corsage, leurs joues, leurs cheveux, pour savoir comment c'était fait, ces êtres-là.
Elle dit soudain:
– Il y en a une grosse brune qui nous regarde tout le temps. J'ai cru tout à l'heure qu'elle allait nous parler. L'as-tu vue?
Il répondit:
– Non. Tu dois te tromper.
Mais il l'avait aperçue depuis longtemps déjà. C'était Rachel qui rôdait autour d'eux avec une colère dans les yeux et des mots violents sur les lèvres.
Duroy l'avait frôlée tout à l'heure en traversant la foule, et elle lui avait dit «Bonjour» tout bas avec un clignement d'œil qui signifiait: «Je comprends.» Mais il n'avait point répondu à cette gentillesse dans la crainte d'être vu par sa maîtresse, et il avait passé froidement, le front haut, la lèvre dédaigneuse. La fille, qu'une jalousie inconsciente aiguillonnait déjà, revint sur ses pas, le frôla de nouveau et prononça d'une voix plus forte: «Bonjour, Georges.»