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Bel-Ami / Милый друг - стр. 36

– Figurez-vous que j'étais encore couchée. Que c'est gentil à vous de venir me voir! J'étais persuadée que vous m'aviez oubliée.

Elle tendit ses deux mains d'un geste ravi, et Duroy, que l'aspect médiocre de l'appartement mettait à son aise, les ayant prises, en baisa une, comme il avait vu faire à Norbert de Varenne.

Elle le pria de s'asseoir; puis, le regardant des pieds à la tête:

– Comme vous êtes changé! Vous avez gagné de l'air. Paris vous fait du bien. Allons, racontez-moi les nouvelles.

Et ils se mirent à bavarder tout de suite, comme s'ils eussent été d'anciennes connaissances, sentant naître entre eux une familiarité instantanée, sentant s'établir un de ces courants de confiance, d'intimité et d'affection qui font amis, en cinq minutes, deux êtres de même caractère et de même race.

Tout à coup, la jeune femme s'interrompit, et s'étonnant:

– C'est drôle comme je suis avec vous. Il me semble que je vous connais depuis dix ans. Nous deviendrons, sans doute, bons camarades. Voulez-vous?

Il répondit: «Mais, certainement,» avec un sourire qui en disait plus.

Il la trouvait tout à fait tentante, dans son peignoir éclatant et doux, moins fine que l'autre dans son peignoir blanc, moins chatte, moins délicate, mais plus excitante, plus poivrée.

Quand il sentait près de lui Mme Forestier, avec son sourire immobile et gracieux qui attirait et arrêtait en même temps, qui semblait dire: «Vous me plaisez» et aussi: «Prenez garde», dont on ne comprenait jamais le sens véritable, il éprouvait surtout le désir de se coucher à ses pieds, ou de baiser la fine dentelle de son corsage et d'aspirer lentement l'air chaud et parfumé qui devait sortir de là, glissant entre les seins. Auprès de Mme de Marelle, il sentait en lui un désir plus brutal, plus précis, un désir qui frémissait dans ses mains devant les contours soulevés de la soie légère.

Elle parlait toujours, semant en chaque phrase cet esprit facile dont elle avait pris l'habitude, comme un ouvrier saisit le tour de main qu'il faut pour accomplir une besogne réputée difficile et dont s'étonnent les autres. Il l'écoutait, pensant: «C'est bon à retenir tout ça. On écrirait des chroniques parisiennes charmantes en la faisant bavarder sur les événements du jour.»

Mais on frappa doucement, tout doucement à la porte par laquelle elle était venue; et elle cria:

– Tu peux entrer, mignonne.

La petite fille parut, alla droit à Duroy et lui tendit la main.

La mère, étonnée, murmura:

– Mais c'est une conquête. Je ne la reconnais plus.

Le jeune homme, ayant embrassé l'enfant, la fit asseoir à côté de lui, et lui posa, avec un air sérieux, des questions gentilles sur ce qu'elle avait fait depuis qu'ils ne s'étaient vus. Elle répondait de sa petite voix de flûte, avec son air grave de grande personne.

La pendule sonna trois heures. Le journaliste se leva.

– Venez souvent, demanda Mme de Marelle, nous bavarderons comme aujourd'hui, vous me ferez toujours plaisir. Mais pourquoi ne vous voit-on plus chez les Forestier?

Il répondit:

– Oh! pour rien. J'ai eu beaucoup à faire. J'espère bien que nous nous y retrouverons un de ces jours.

Et il sortit le cœur plein d'espoir, sans savoir pourquoi.

Il ne parla pas à Forestier de cette visite.

Mais il en garda le souvenir, les jours suivants, plus que le souvenir, une sorte de sensation de la présence irréelle et persistante de cette femme. Il lui semblait avoir pris quelque chose d'elle, l'image de son corps restée dans ses yeux et la saveur de son être moral restée en son cœur. Il demeurait sous l'obsession de son image, comme il arrive quelquefois quand on a passé des heures charmantes auprès d'un être. On dirait qu'on subit une possession étrange, intime, confuse, troublante et exquise, parce qu'elle est mystérieuse.

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