Bel-Ami / Милый друг - стр. 8
– Encore un bock? demanda Forestier.
– Oui, volontiers.
Ils s'assirent en regardant passer le public.
De temps en temps, une rôdeuse s'arrêtait, puis demandait avec un sourire banal: «M'offrez-vous quelque chose, monsieur?» Et comme Forestier répondait: «Un verre d'eau à la fontaine», elle s'éloignait en murmurant: «Va donc, mufle!»
Mais la grosse brune qui s'était appuyée tout à l'heure derrière la loge des deux camarades reparut, marchant arrogamment, le bras passé sous celui de la grosse blonde. Cela faisait vraiment une belle paire de femmes, bien assorties.
Elle sourit en apercevant Duroy, comme si leurs yeux se fussent dit déjà des choses intimes et secrètes; et, prenant une chaise, elle s'assit tranquillement en face de lui et fit asseoir son amie, puis elle commanda d'une voix claire:
– Garçon, deux grenadines!
Forestier, surpris, prononça:
– Tu ne te gênes pas, toi!
Elle répondit:
– C'est ton ami qui me séduit. C'est vraiment un joli garçon. Je crois qu'il me ferait faire des folies!
Duroy, intimidé, ne trouvait rien à dire. Il retroussait sa moustache frisée en souriant d'une façon niaise. Le garçon apporta les sirops, que les femmes burent d'un seul trait; puis elles se levèrent, et la brune, avec un petit salut amical de la tête et un léger coup d'éventail sur le bras, dit à Duroy:
– Merci, mon chat. Tu n'as pas la parole facile.
Et elles partirent en balançant leur croupe.
Alors Forestier se mit à rire:
– Dis donc, mon vieux, sais-tu que tu as vraiment du succès auprès des femmes? Il faut soigner ça. Ça peut te mener loin.
Il se tut une seconde, puis reprit, avec ce ton rêveur des gens qui pensent tout haut:
– C'est encore par elles qu'on arrive le plus vite.
Et comme Duroy souriait toujours sans répondre, il demanda:
– Est-ce que tu restes encore? Moi, je vais rentrer, j'en ai assez.
L'autre murmura:
– Oui, je reste encore un peu. Il n'est pas tard.
Forestier se leva:
– Eh bien! adieu, alors. À demain. N'oublie pas? 17, rue Fontaine, sept heures et demie.
– C'est entendu; à demain. Merci.
Ils se serrèrent la main, et le journaliste s'éloigna.
Dès qu'il eut disparu, Duroy se sentit libre, et de nouveau il tâta joyeusement les deux pièces d'or dans sa poche; puis, se levant, il se mit à parcourir la foule qu'il fouillait de l'œil.
Il les aperçut bientôt, les deux femmes, la blonde et la brune, qui voyageaient toujours de leur allure fière de mendiantes, à travers la cohue des hommes.
Il alla droit sur elles, et quand il fut tout près, il n'osa plus.
La brune lui dit:
– As-tu retrouvé ta langue?
Il balbutia: «Parbleu», sans parvenir à prononcer autre chose que cette parole.
Ils restaient debout tous les trois, arrêtés, arrêtant le mouvement du promenoir, formant un remous autour d'eux.
Alors, tout à coup elle demanda:
– Viens-tu chez moi?
Et lui, frémissant de convoitise, répondit brutalement:
– Oui, mais je n'ai qu'un louis dans ma poche.
Elle sourit avec indifférence:
– Ça ne fait rien.
Et elle prit son bras en signe de possession.
Comme ils sortaient, il songeait qu'avec les autres vingt francs il pourrait facilement se procurer, en location, un costume de soirée pour le lendemain.
II
Monsieur Forestier, s'il vous plaît?
– Au troisième, la porte à gauche.
Le concierge avait répondu cela d'une voix aimable où apparaissait une considération pour son locataire. Et Georges Duroy monta l'escalier.